Cela n’était rien par rapport à son intelligence. Fine d’esprit, pointue, rigoureuse, trop pour ce boulot.
Elle en avait conscience, mais bien lotie à son arrivée, le piège des stocks options s’était refermée sur elle.
C’était donc léger malgré les six heures de conférences obligatoires qu’il allait falloir se taper, que je me retrouvais avec trois autres éclairés dans Vienne, armés pour ce boot camp.
Le premier soir annonçait le premier malaise. C’était une soirée habillée avec dîner à huit par tables où pendant le repas interviendrait un cabinet scandinave de motivation d’entreprise.
La table à laquelle je m’étais placé était agréable, il y avait Lydie, mon manager vertical –celui qui aide, conseille ou impose, à la différence du manager opérationnel qui n ‘y connaissait rien et ne faisait que le relever des compteurs, qui s’était attablé avec angélique, très bon chef de projet banque et très belle femme, avec qui il entretenait une relation semi-officielle depuis quelques mois.
Nous passions tous une agréable soirée dans un décor qui confirmait par sa beauté et sa solennité la grandeur révolue de l’Autriche.
Cela jusqu’au numéro danois. Trois hommes et une femme habillés de vêtements de cuirs et de latex, noirs des chaussures aux…. Casquettes.
Je dois avouer que ces costumes et cette entrée sous une musique techno assourdissante, non sans rappeler une musique militaire, me laissaient mal à l’aise en train de me demander quelle mauvaise comédie dans ce décor et cette ville qui respire encore ce passé, ces abrutis allaient jouer.
J’hésitais encore, pendant quelques secondes entre un effet d’humour et un effroi.
Je n’étais pas tout seul dans l’assistance à ressentir ce sentiment.
Quelque chose de chimique se passait, cela en était presque palpable, suspendus à leurs premiers mots.
Ils furent naturels sans référence au malaise pourtant évident. Le plus grand des trois déroulait le fil de ce qui sera leur démonstration.
Le vocabulaire employé (cible, attaques, renforts, mise à mort.) ne laissait plus de place à l’interrogation. Ces trois cons n’étaient que références militaires et tout dans leur introduction nous ramenait il y a quelques années dans ces murs qui ont vu des uniformes similaires dîner eux aussi en apparats pour les grands soirs.
Le temps et l’histoire sont des notions qui quelquefois, miraculeusement, nous confrontent en une fraction de seconde à hier, aujourd’hui et demain dans un même instant.
Le bureau israélien décida en peu de temps de quitter le dîner. Des conversations transversales avaient lieu entre toutes les tables. Des choses se passaient. Les Américains eux aussi semblaient touchés et beaucoup d’entre eux partirent. Avec Lydie et les autres nous nous glissâmes hors de ce mauvais théâtre profitant d’une présentation sur rétroprojecteur qui nécessitait le noir dans la salle.
Je ne suis pas sur que le bureau autrichien soit chargé dans l’avenir d’organiser quelques évènements que ce soit. Tant mieux.
On s’est retrouvé au bar de l’hôtel et bon an mal an, trois bouteilles de champagnes furent descendues. Nous étions quatre à les boire.
Il fallait bien cela pour oublier ou réaliser, je ne sais plus, ce qui s’était passé.
La conclusion de la soirée fut donnée par Lydie:
- Ils sont complètement tarés dans cette boite.
Je ne savais pas ce soir là à quel point. Ce qui arriva le lendemain me ramena à la triste réalité.
On avait séché, comme la plupart des français la séance sur « l’attaque frontale de la concurrence ». De toutes façons on n’avait pas le choix car les trois bouteilles de la veille se rappelaient douloureusement à notre mémoire.
C’est donc avachi sur les banquettes qu’on vit arriver notre chère manager (c’est fou comme certains mots ne conviennent pas du tout à certaines personnes), l’air inquisiteur.
- Vous n’êtes pas allez à la conférence ?
- Ben non, tu vois bien !
-Oui et bien Jean-Michel (le vi-pi) a vu que vous n’étiez pas là et il est furieux !
-Attends, Dominique, il n’a pas autre chose à faire le vice président Europe du sud qu’à surveiller des pauvres chefs de projets juniors
- Marc, arrête ton cynisme et suis-moi.
Mes collègues me regardaient partir se demandant à
quelle sauce j’allais être mangé.
Il s’agissait bien de sauce, mais ce n’est pas moi qui allais constituer l’essentiel du repas.
Dominique me demanda de la suivre et de venir marcher avec elle dans Vienne. Je compris que ce qui venait de se produire n’avait aucun rapport quand j’observais la fébrilité avec laquelle elle alluma sa cigarette.
-Il faut que je te parle marc.
Ce genre de phrase est tellement cliché que l’on sait d’avance que derrière il n’y a que des emmerdes.
-J’ai eu une discussion avec Jean-Michel, et vu les performances de l’équipe il veut faire du ménage.
- Ah bon ? (Sublime réplique) !
- Oui et de toute façon je n’ai pas le choix, si je ne nettoie pas, c’est moi qui serai virer. Je sais que je peux avoir confiance en toi, c’est pour cela que je t’en parle.
Confiance en moi, dis plutôt espèce de garce, que tu te rends compte que tes décolletés ne te permettent que de soutenir tes nichons et pas la pression, pensais-je.
-Tu as raison, tu peux avoir confiance. Alors qui va sortir du loft ?
L’expression la fit moyennement rire. Je la trouvais pourtant très à propos.
- Mina et Pierre c’est sur vu les résultats des deux derniers quarters.
Waouw, c’est rude, tu sais que Mina n’a pas un secteur facile et que le secteur public met un temps fou pour prendre une décision.
Je ne fis aucun commentaire sur Pierre, tant je trouvais sa personnalité affreuse.
-Et puis, je vais m’arranger pour faire virer Lydie, je ne peux plus la voir en peinture, elle m’énerve.
Je ne dis rien pendant un temps. Je pris conscience que la partie prenait une drôle de tournure et que les cartes m’échappaient.